Dans le Bleu de ces yeux, j'ai vu...

J'ai su... qu'il allait mourir.

Pendant une seconde qui me parut une éternité, j'ai vu sa pupille dilaté me demander "Pourquoi?" avant de s'éteindre sans emporter de réponse.

J'ai eu mal de mon impuissance à le sauver.

Ce n'était que le énième Fou de Bassan a perdre la vie à cause de l'Erika.

                                                               

Ile de Bonne-Aventure - Québec - - Frédéric Labaune

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Décembre 1999, alors que la grande majorité des bipèdes que nous sommes s'organise un réveillon "inoubliable", j'ignore encore comment je vais passer le mien, ma vie personnelle est plutôt embrouillée.
Je rage face à mon ordinateur devant toutes les informations qui montre notre littoral souillé par l'Ericka.

C'est alors que la décision est prise toute seule... on manque de mains devant l'importance de la catastrophe...c'est décidé, j'irai.
Et c'est ainsi que je me suis rendue au C.H.E.N.E à Allouville Belfosse, en voiture, seule.

Trois malheureux petits jours... à nettoyer les enclos des Guillemots des Fous, de Bassan, tous épuisés et hagards,  à ramasser les morts, puis à les gaver de force... il faut qu'ils mangent, à préparer un hangar, il va arriver 1500 oiseaux mazoutés de plus des côtes.

On manque de personnel alors parceque les Fous m'impressionnent moins que les autres, on me demande de gaver.
Il faut être deux pour cette opération.
Les oiseaux hagards tentent de se défendrent des bipèdes qui tournent autour d'eux.

A côté une bénévole enfoui un poisson par la queue dans la gorge d'un fou... L'oiseau se débat... J'interviens ! Dans la nature, l'oiseau avale le poisson par la tête pour la simple et bonne raison qu'il va dans le sens des écailles...je n'ose imaginer le gosier du fou...

On se forme sur le tas, il le faut bien... Les oiseaux ont de la force et surtout le bec coupant... Mon équipière, gantée, se charge de maintenir l'oiseau, et de lui ouvrir le bec, je me charge de glisser le poisson qui me paraissait si gros parfois au fond du gosier puis de caresser la gorge pour solliciter la déglutition.

Puis à côté, on demande un bénevole pour maintenir des Fous, plus faibles, qu'il faut gaver à la bouillie de poissons, le systeme digestif trop brulé par le pétrole ingéré.

Sur ce Fou, il est décidé de donner un poisson... et tandis que je lui maintiens le bec ouvert, dans le Bleu de son oeil, j'ai su qu'il allait mourir.

Il s'est débattu, "il faut qu'il mange"... et tandis qu'on lui enfournait le poisson de force, j'ai vu son oeil s'éteindre dans un soubresaut et je l'ai reposé, mort, sur la paille.

Le choc émotionnel a été trop grand...pour ce bel oiseau des mers.

Pas le temps de pleurer... la rage au ventre, je sais que cela ne sera pas le dernier... et que d'autres, tant d'autres mourront eux aussi...

Une dernière caresse sur ce bel oiseau avant la benne... Il faut poursuivre.

Selon le 16eme bulletin d'information sur la marée noire de l'Erika du 14 février 2OOO, ce fou de bassan n'a été qu'une des premières victimes recensées au sol  car 65 jours après, sur les
- 61 094 oiseaux collectés
* 54 408 oiseaux sont morts (80% de Guillemots de Troil)
* 5 998 oiseaux ont survécus
* 688 ont pu être relachés

On estime à plus de 300 000 oiseaux décédés, entre ceux coulés en pleine mer et ceux, morts, qui ont directement été jetés dans les bennes sur les côtes.

A cette même date, était stocké 10 650 tonnes de déchets sur des sites intermédiaires tandis que 105 500 tonnes étaient récupérés sur les sites de stockage lourd.
Avec un résultat d'environ 116 000 tonnes de déchets collectés, il est estimé que ce furent 15 000 à 16 000 tonnes de pétrole qui furent déversés en mer et non 10 à 12 000 tonnes comme initialement estimé.

http://www.ecologie.gouv.fr/IMG/pdf/20000214.pdf

Comments

[Secret]

Comment peut on continuer à laisser dériver des navires poubelles, laisser souiller les côtes pour des questions d'argent, de rentabilité, pour que nous puissions mettre du pétrole dans nos voitures, produire nos produits de luxe, tv, pc etc etc...

Comment ne pas rester insensible à ce témoignage...