L'environnement
unique et fragile de l'Arctique est soumis à de multiples pollutions,
qui, pour beaucoup, proviennent de l'extérieur : réchauffement
climatique, substances toxiques transportées par les courants
atmosphériques et océaniques vers le pôle...
Mais la zone connaît aussi une pollution endogène, moins étudiée,
dont l'association de protection de l'environnement Robin des Bois
dresse, pour la première fois, dans une étude publiée en décembre, un
tableau général.
En compilant les données fournies par six des pays riverains de
l'océan Arctique (la Russie n'a pas transmis ses données),
l'association dénombre 2 750 sites pollués dans la zone. "C'est un nombre anormalement élevé par rapport à la densité de population sur place, qui est très faible", commente Jacky Bonnemains, président de Robin des Bois.
Bases militaires et scientifiques, prospection, exploitation et
distribution de gaz et de pétrole, stockage de carburants, complexes
miniers et sidérurgiques, décharges de déchets ménagers sont
responsables de ces pollutions. L'éloignement des sites de stockage et
d'élimination des déchets, les coûts de transport, la faible densité de
la population, ont incité les producteurs de déchets à les abandonner
sur place.
Les substances toxiques les plus présentes sont les hydrocarbures,
les métaux lourds (plomb, mercure, cadmium), et les polluants
organiques persistants (pesticides, PCB), potentiellement dangereux
pour l'environnement et la santé des populations locales (les
pollutions radioactives ne font pas partie de cet inventaire).
Les Inuits du Groenland et du Canada présentent des taux de mercure
et de PCB dans le sang parmi les plus élevés au monde. Cette
contamination est en général attribuée au régime alimentaire des
populations autochtones, qui se nourrissent de mammifères marins dans
la graisse desquels les polluants organiques persistants s'accumulent. "La contamination d'origine locale pourrait également être importante", selon Jacky Bonnemains.
Les sites pollués se situent en bordure de l'océan, de lacs ou de fleuves. "Ce sont des abcès environnementaux et des voies de transfert des polluants vers les eaux douces et marines", prévient l'association.
Une menace accrue par le réchauffement climatique. "On a longtemps considéré le gel comme un mode de confinement des substances toxiques contenues dans les déchets, explique M. Bonnemains. Mais ils pourraient être remobilisés par la fonte du permafrost."
LUTTE CONCERTÉE
Parmi les pays interrogés, seule la Russie n'a pas fourni les
informations demandées, bien que sa zone arctique soit notoirement
polluée. Les autres pays disposent d'inventaires nationaux. L'objectif
de l'association, en "décloisonnant" ces données, est d'inciter les
pays à conduire une action de lutte concertée contre la pollution.
Pour l'heure, ces dernières sont menées, à des rythmes inégaux, par
les Etats. Les mesures consistent le plus souvent à regrouper les
déchets et à les stocker sur place dans des fosses étanches. Les
transferts vers des centres de traitement, très coûteux, sont rares.
Les pays les plus avancés dans la mise en sécurité des déchets sont
les Etats-Unis et le Canada, suivis des pays scandinaves. Le Groenland,
qui vient d'accéder à l'autonomie, arrive en dernier - sans compter la
Russie.
Pour Robin des Bois, les Etats concernés doivent résorber les
pollutions existantes, mais aussi prévenir l'abandon de déchets dans le
futur. "Si tous les projets d'activité industrielle en Arctique
gèrent les déchets de la même manière que les activités pionnières, on
court à la catastrophe", affirme Jacky Bonnemains.
Hydrocarbures, pêche, transports maritimes, tourisme : l'Arctique
est aujourd'hui l'objet de toutes les convoitises, et les Etats
riverains s'affrontent pour faire valoir leur souveraineté dans la zone.
Les écologistes rêvent d'un statut protecteur comparable à celui de
l'Antarctique, signé en 1959, qui interdit tant les activités
militaires que l'exploitation des ressources minérales.
Mais les Etats concernés y sont hostiles, car les projets
d'exploitation sont légion : au Canada, par exemple, un consortium
international espère y exploiter des champs de gaz, qu'il faudra relier
aux réseaux existant par 1 200 km de pipelines.
Mercredi 30 décembre, une commission a jugé le projet acceptable.
Mais seulement à condition que les compagnies respectent 176
recommandations pour en minimiser l'impact.
Gaëlle Dupont
(source)